Un roman qui contribue à redonner, à l’histoire africaine, ses lettres de noblesse
L’écrivain Georges I. Zreik revient, après douze années d’absence, avec un nouvel ouvrage intitulé La légende d’Awaporé-o-tou ou Après Bételgeuse paru chez Les Classiques Ivoiriens. Le 17 novembre 2021, l'association Point de lecture avait organisé, en partenariat avec la maison d’édition et l’Institut français de Côte-d’Ivoire, son 136e café littéraire, autour de ce roman.
Cet ouvrage nous fait voyager à travers la fiction, l’histoire de l’Afrique et de l’humanité tout en abordant différents thèmes et problématiques. Il s’agit d’un roman, certes, mais sa dimension scientifique n’est pas à négliger non plus. Souligné par différents critiques littéraires, cette originalité de l’auteur mêlant science et fiction révèle le caractère scientifique de l’écrivain laissant libre cours à sa créativité. Ce choix audacieux entraine le lecteur dans d’inéluctables pérégrinations imaginaires tout en apprenant et en questionnant son savoir et celui de l’auteur. Ici, rêverie, histoire, cosmogonies/religions et sciences dites « dures » s’entremêlent afin de nous offrir une aventure riche et palpitante. D’ailleurs, lors d’une interview donnée pendant le café littéraire, l’auteur affirma : « On parle de l’histoire pour mettre en question beaucoup de choses dans ce monde » et à travers cet ouvrage, il nous transmet sa vision du monde et de l’Afrique.
M. Zreik aborde longuement et profondément la cosmogonie de l’Egypte antique, décision justifiée par la fiction mettant en scène la découverte d’un étrange papyrus d’origine égyptienne dévoilant aux yeux du monde de mystérieux tracés difficilement déchiffrables par les chercheurs mais pourtant connus d’un « gardien de la mémoire » en Afrique de l’Ouest. Cette vision du lien entre l’Egypte antique et l’Afrique de l’Ouest, plus précisément la Côte-d’Ivoire, n’est pas sans rappeler une partie de l’histoire niée par certains.
Différentes thématiques abordées…
La crainte d’une perte du patrimoine culturel et spirituel dû au désintéressement croissant de la jeune génération et à l’absence de transmission par les plus âgés est très vite révélée. D’ailleurs, ce sentiment transparait dans un entretien avec l’auteur, réalisé par M. Koffi Koffi, critique littéraire, en décembre 2020 ; M. Zreik y expliquait que : « Pour ce qui est de l’histoire en famille, je dirai que ma grand-mère était un être passionnant. Elle nous racontait plein de choses quand nous étions enfants mais on l’écoutait peu. À l’âge de la maturité, j’avais plein de questions à lui poser mais elle était déjà décédée ». Ce regret, transformé par la suite en inquiétude, transparait dans l’ouvrage à travers le personnage d’Amon Tanoh qui se questionne sur l’avenir des traditions car aucun jeune ne s’y intéresse. Dans ce cas, à qui transmettre ?
La domination du masculin sur le féminin apparait également dans l’œuvre à travers l’histoire du calendrier lunaire remplacé, au fil du temps, par le solaire. L’auteur écrit : « Le dieu soleil détrôna lentement les dieux féminins lunaires. Il domina le ciel de jour et chassa les étoiles à chacune de ses apparitions. Caché derrière son éclat, il éblouissait puis aveuglait ceux qui osaient le regarder ou le défier. Nul ne pouvait partager son pouvoir. Il s’élevait seul sur la Terre et préfigurait le pouvoir suprême, masculin et militaire, qui animait les nouveaux maîtres des cités et leur nouvelle ère guerrière ». D’après l’auteur : « Les dieux féminins lunaires, pacifiques et féconds, cédèrent leurs pouvoirs aux dieux masculins solaires » ; alors naquirent les sociétés patriarcales. Ces lignes rappellent le caractère « militant » et « engagé » de l’auteur que l’on retrouve dans d’autres ouvrages de sa plume. Il se décrit, d’ailleurs, lui-même comme étant « Un observateur, un contemplateur du monde et de son environnement choqué par le gâchis de cette chance extraordinaire qu’est la terre et la vie » (Propos tirés de l’entretien précité). Il rajoute qu ’ « Exister est une chance inouïe, gaspiller son existence ou celle des autres ou les haïr est une dévastation infinie. Transformer la vie en une course effrénée au profit et épuiser la terre par ses actes inconsidérés est le pire destin de l’humanité ».
L’environnement est une thématique chère au cœur de l’auteur ; elle ressort dans son dernier ouvrage comme dans d’autres. Toujours dans l’entretien avec M. Koffi Koffi, M. Zeirk explique, au sujet de l’humanité, que : « Ces derniers siècles, elle a opté pour une exploitation à outrance de toutes les ressources naturelles et a détruit beaucoup de cycles dans les règnes animal et végétal ; ce qui a abouti à l’extinction de beaucoup d’espèces. Actuellement nous vivons la désorganisation du climat avec le réchauffement, la désorganisation du cycle de l’eau avec la fonte des deux pôles et des glaciers de hautes altitudes. Bientôt, la déforestation nous fera vivre l’impact de la désorganisation du cycle de l’oxygène. Or tous ces cycles sont essentiels pour toute vie sur la terre ».
Dans son roman, l’écrivain dénonce également l’adoption, au cours de l’histoire de la Côte-d’Ivoire, de certains principes étrangers au détriment des fondements locaux pourtant nobles. Il écrit, par exemple : « Les terres qui environnaient ces dernières furent source de conflits. Leurs chefs et membres les plus puissants rompirent avec la tradition des chefs de terres. Ils s’en accaparèrent, reléguèrent aux oubliettes la répartition égalitaire, s’en déclarèrent seuls propriétaires et les transmirent par héritage à leurs descendants ». Il rajoute : « Leur économie et leurs valeurs imposèrent les concepts de propriété, d’argent et plus tard de taxes, trois notions qui nous étaient étrangères. […]. Nos territoires se trouvèrent morcelés et nos parents séparés. En certains endroits, ils devinrent indésirables sur leurs propres terres ».
Ce roman semble vouloir contribuer à redonner à l’Afrique ses lettres de noblesses à travers son histoire. Le titre du livre annonce avec justesse que le roman fera nécessairement référence à l’astronomie : La légende d’Awaporé-o tou ou Après Bételgeuse. Bételgeuse est une étoile de la constellation d’Orion, une « étoile en fin de vie » précise l’auteur au café littéraire. Awaporé n’est autre que le nom de la constellation d’Orion en Baoulé ; Awaporé o tou, le nom de Bételgeuse. Preuve donc que l’Afrique noire, plus précisément ici l’Afrique de l’ouest, la Côte-d’Ivoire, connaissait l’astronomie bien avant l’esclavage et la colonisation. Ce n’est pas sans rappeler l’astronomie dogon et la découverte par Griaule, qui fascina les historiens occidentaux, de Sigui Tolo, le nom donné par les Dogons à l’étoile Sirius (A). Il y a donc une connaissance antique de l’astronomie par les africains. L’auteur explique, au café littéraire, que selon lui « La légende d’awaporé est à la base de la légende égyptienne de noun sur l’ordre et le désordre ». D’ailleurs, dans l’entretien avec M. Koffi Koffi, il explique que « Les mythes et les légendes ont guidé et unifié les hommes, l’une d’elles est la légende pharaonique de Noun, légende qui, parmi tant d’autres, a dû inspirer le déluge, lui-même, probablement inspiré par des événements qui ont eu lieu dans le Sahara vert, à la lisière du Burkina, du Mali et de la Côte d’Ivoire, il y a 12 000 ans ». Il rajoute aussi que « C’est aussi une odyssée à travers les 12 000 dernières années de l’histoire de l’humanité et de la planète Terre. Cette histoire a débouché sur des succès scientifiques et sur des catastrophes humanitaires et écologiques. Ce voyage a commencé en Afrique et ré-aboutit à l’Afrique, en conformité avec la spiritualité cyclique du continent, spiritualité opposée à l’évolution linéaire que propose le monde du profit et des groupes financiers dominateurs ».
A travers cet ouvrage, l’auteur dit vouloir « Montrer aux gens qu’il n’y a pas que les êtres humains et la nature, que même les étoiles, même le grand monde qui nous entoure aussi a son cycle et sa fin de vie » (Café littéraire). Dans l’entretien précité, il précise que « La légende d’Awaporé-o-tou est la fin d’un cycle - ou d’une fenêtre de 12 000 ans dans la vie de la Terre qui a été favorable à l’homo sapiens - et le début d’un autre cycle, plus chaotique, tel qu’évoqué dans la légende pharaonique de Noun et son désordre. L’évolution linéaire inégalitaire a rompu tant de cycles et nous amène aujourd’hui au pied du mur par une grave remise en question de beaucoup d’équilibres sur notre planète… »
Mais alors, que deviendrons-nous après Bételgeuse ?
Bonne lecture !
S. Grié-Hazoumé
Source : Site internet de l’auteur
Sources :
La légende d'Awaporé-o-tou ou après Bételgeuse
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