La pédagogie positive est de plus en plus évoquée dans le domaine de l’éducation mais de quoi s’agit-il exactement ? N’est-ce-pas une manière trop permissive d’éduquer les enfants ? Serait-ce une façon d’encourager l’attitude de l’enfant-roi ? Tant de questions que certain(e)s se posent, surtout dans nos réalités africaines. Focus Educ a mené son enquête et a découvert, Laurenne Mathieu, enseignante en classe de maternelle, qui utilise cette pédagogie dans sa façon d’enseigner. Sa manière de faire, très originale, nous a interpelé et nous avons donc décidé de prendre contact avec elle à travers cette interview pour en apprendre davantage.
1. LAURENNE MATHIEU, PRESENTEZ-VOUS SVP
Je m’appelle Laurenne Mathieu, je suis depuis 4 ans professeure des écoles en cycle 1, ce qui correspond à la maternelle. Mais je suis également auteure jeunesse et illustratrice.
2. POUVEZ-VOUS NOUS EXPLIQUER CE QU’EST LA PEDAGOGIE POSITIVE ?
Plutôt que d’en donner une définition générale, je vais expliquer comment, à mon niveau, je reçois les termes de pédagogie positive.
Aujourd’hui, l’autorité et la bienveillance sont des valeurs en tension. Il faut respecter l’enfant, mais poser des cadres.
La pédagogie positive fait entrer en jeu la bienveillance. Elle est, à mon sens, le juste milieu entre une éducation trop autoritaire et une autre trop permissive. Elle ne commence pas par un « non » mais elle permet d’ouvrir un dialogue et de prendre en considération l’entièreté de la personne qu’est l’enfant.
L’enfant doit se sentir respecté pour la personne qu’il est, et doit pouvoir être capable d’exprimer ses émotions et ses besoins. Ce sont les solutions qu’offre la pédagogie positive.
3. QU’EST-CE QUI VOUS A AMENE A VOUS INTERESSER A LA PEDAGOGIE POSITIVE ?
Durant mes études, j’ai exploré pas mal de courants pédagogiques alternatifs. Lors d’un stage en école franco-allemande à Berlin, j’ai été conquise par la manière de faire de mes collègues et par l’ambiance qui régnait. On y appliquait certains concepts de différents mouvements alternatifs tels que : l’apprentissage par le tâtonnement expérimental (l’enfant apprend tout seul à force d’essais et d’erreurs), le chuchotement en classe pour respecter la concentration de tous, les enseignantes qui ne crient pas sur leurs élèves et j’en passe.
L’enfant n’est pas à dresser comme un animal mais à épanouir. Tout cela a fait sens en moi et j’ai réalisé que trop souvent, en Afrique (en tout cas en Côte-d’Ivoire), dans les écoles et même en dehors, les jeunes enfants sont éduqués à reproduire le schéma de l’adulte sans qu’on ne leur ait jamais donné les cartes nécessaires pour créer le leur et que ce n’était pas là, la seule manière de fonctionner pour apprendre.
A cette époque, je ne savais pas encore que je rentrerais en Côte d’Ivoire en tant que professeure des écoles.
4. COMMENT PRENEZ-VOUS EN COMPTE LA PEDAGOGIE POSITIVE DANS VOTRE MANIERE D’ENSEIGNER ? AVEZ-VOUS DES OUTILS DE TRAVAIL PARTICULIERS ?
Dans ma classe, j’essaie de tout mettre en œuvre pour que les enfants se sentent à l’aise et pour qu’ils soient heureux de revenir tous les matins.
Par exemple, ce que je ne changerais plus du tout à ma manière de fonctionner, c’est le fait de donner le choix aux enfants de l’activité qu’ils souhaitent faire chaque jour, avec la possibilité de la refaire au moins 3 fois, grâce à un système d’inscription. Cela permet à l’enfant d’avancer à son rythme et de prendre confiance en lui (plus il refait une activité, plus il est en réussite, plus il est confiant).
Depuis que j’ai commencé, tous les jeudis j’encourage vraiment mes élèves à se débarrasser, avec des mots, de tout ce qui pèse dans leur cœur. Ce sont les « jeudis positifs » : On accueille ensemble la bienveillance, la douceur, l’amour, etc, et on rejette la violence, la méchanceté, la jalousie... Cela leur donne l’occasion de s’exprimer sur les évènements marquants de la semaine et de réagir à ceux des autres, sans jugement.
Cette année, je travaille l’empathie et la bienveillance en mettant en place le concept des remplisseurs de seaux tiré du livre « As-tu rempli un seau aujourd’hui ? » de McCloud. L’auteur explique que tout le monde possède un seau invisible qui se remplit grâce aux bons sentiments que nous avons les uns envers les autres. Mais attention, le seau peut également être vidé si nous nous comportons mal (injures, gestes violents, etc.).
En classe, mes élèves ont créé leurs propres seaux. Ils peuvent glisser des petits mots, des dessins ou autres dans ceux de leurs amis à n’importe quel moment de la journée. Les enfants sont très contents le matin ou pendant la journée de venir découvrir s’ils ont reçu un petit mot.
Il arrive souvent que j’en glisse moi-même dans les seaux des élèves qui ne vont pas bien pour leur remonter le moral !
En ce moment, je teste « le cadeau de la semaine ». Chaque élève fait un dessin, écrit un mot à un autre avec qui il n’a pas forcément l’habitude de jouer. Tout le monde doit avoir un cadeau !
Tout n’est pas parfait et ne se déroule pas forcément comme je l’imaginais mais il y a encore beaucoup d’autres choses que je voudrais essayer ; j’ai la chance d’avoir ce qu’on appelle la liberté pédagogique dans mon travail.
5. QUELLES SONT LES REACTIONS DES PARENTS FACE A CETTE METHODE INNOVANTE ?
Malheureusement, les parents ne montrent pas toujours leur intérêt pour ce type de pédagogie nouvelle. Ceux qui le font, c’est parce qu’ils connaissent son existence, qu’ils appliquent eux-mêmes l’éducation positive à la maison ou qu’ils sont plus investis que d’autres dans la vie scolaire de leur enfant. Les bons vieux modèles d’éducation ont des racines coriaces dans le vécu des adultes actuels. Ils ne sont pas à rejeter tout entier mais ils méritent quelques travaux de réaménagement…
6. OBSERVEZ-VOUS UN CHANGEMENT CHEZ VOS ELEVES ENTRE LE DEBUT ET LA FIN DE L’ANNEE SCOLAIRE ?
Oui, bien sûr ! Toujours. En réalité, je ne sais pas ce que c’est qu’une classe qui fonctionne traditionnellement, je n’en n’ai jamais eu puisque j’ai toujours fonctionné en ajoutant mon petit grain de sel qu’est la pédagogie positive !
Mais je sais voir la différence entre mes élèves et ceux d’autres collègues. D’ailleurs, pour l’anecdote, certains enseignants qui ont reçu mes élèves les années suivantes m’ont déjà dit que mes anciens élèves étaient des artistes. Je crois qu’en fait, ces élèves ont fini par savoir spontanément exprimer tout seuls ce qu’ils ressentent. Et c’est une victoire pour moi !
7. PENSEZ-VOUS QUE LA PEDAGOGIE POSITIVE PUISSE ETRE APPLIQUEE AUX ELEVES AYANT PASSE LA MATERNELLE ?
Tout à fait ! Et même jusqu’à très tard. Je crois qu’il n’y a pas d’âge pour apprendre à se connaître, et selon moi la pédagogie positive est une aide précieuse dans ce processus.
En tant qu’enseignant, l’appliquer en classe permet aussi aux enfants d’apprendre à être plus doux avec eux. Même après la maternelle, on en a encore besoin et parfois encore jusqu’à l’âge adulte.
Interview de Laurenne Mathieu
Professeure des écoles en maternelle
Par S. Grié-Hazoumé
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